Conséquences psychologiques

Adapté d’après le Mémoire d’Anne Curelli

La prise en charge psychologique doit être précoce et obligatoire par une équipe pluridisciplinaire. D’après le modèle de Kübler-Ross (voir ci dessous), la personne récemment amputée passe par 5 phases obligatoires de durée plus ou moins longues qui aboutissent ou non jusqu’à la phase d’acceptation. Cette évolution psychologique nécessite une prise en charge par un psychothérapeute et si besoin un psychiatre en collaboration avec l’équipe soignante (médecins, infirmier(e)s, kinés).

L’intervention à ce stade d’une personne déjà amputée s’avère particulièrement bénéfique et irremplaçable. Cette forme de solidarité et de complicité est presque toujours appréciée par les personnes récemment amputées qui se posent beaucoup de questions et sont souvent anxieux par rapport à l’avenir. ADEPA assure ces visites dans la plupart des régions de France (voir contacts en régions) et souhaite dans un avenir proche offrir ce service à toute personne récemment amputée qui le demande.

L’amputation confronte la personne à l’immense difficulté de faire face au choc psychologique provoqué par l’amputation elle-même, de par l’altération de l’image de soi qu’elle constitue, et aux conséquences qui en découlent c’est à dire une incapacité qui n’est plus récupérable, mais seulement compensable.

La réaction à la perte d’une partie de soi se marque par une sorte de sentiment d’anéantissement ;

la diminution d’une partie du potentiel d’activité physique est ressentie, dans un premier temps, du fait de son irréversibilité, comme une atteinte généralisée.

La phrase fréquemment utilisée à la suite d’une amputation est la suivante : « je ne suis plus rien ».

Faute de ne pouvoir conserver la totalité de son corps, le sujet s’estime anéanti. Un travail de deuil sera donc nécessaire afin de reconnaître progressivement que, même privé d’une partie de son corps, le sujet reste une totalité vivante. On peut se demander pourquoi la perte d’une partie de soi produit cet effet d’extrême dépression, ce sentiment d’effondrement.

Ceci proviendrait du fait que le sujet dépossédé d’une partie de son corps ne se reconnaît plus, l’altération de son image corporelle gagne son être psychique. D’une certaine manière il est privé d’une image de lui-même qui lui apportait satisfaction, il ne peut plus trouver dans le regard porté sur son corps et donc sur lui-même des raisons de s’admirer, de s’aimer.

L’aboutissement de ce travail de deuil de ce que l’on était avant et d’acceptation de ce que l’on est maintenant va ainsi permettre l’élaboration d’une nouvelle image corporelle. Ce travail de deuil va s’effectuer progressivement, par étapes.

Selon le modèle de Kübler-Ross, il y a schématiquement cinq étapes entre l’annonce ou la découverte de l’amputation et son acceptation :

 

1 .Le déni

«Non, ce n’est pas à moi que cela arrive !». «C’est un mauvais rêve, je vais bientôt me réveiller !».

Le patient venant d’être amputé ne peut accepter la réalité, mais cette étape est généralement de courte durée.

 

2 . L’agressivité et la révolte

«Pourquoi moi ? », «C’est la faute de… ».

Après la dénégation de l’amputation, la révolte contre la réalité de ce nouvel état physique est fréquente. Elle peut être plus ou moins intense, et même être pénible à vivre, tant par le sujet amputé que par son entourage. Un sentiment de culpabilité y est parfois associé : «Mais de quoi suis-je donc coupable pour qu’une chose pareille m’arrive ?» «Qu’aurai-je dû faire, ou ne pas faire, pour que cela n’arrive pas ?».

La révolte porte bien entendu sur l’injustice que représente l’amputation, mais tous les domaines de pensées ou d’activités peuvent en être affectés, et la moindre contrariété, même n’ayant aucun rapport avec la santé, peut entraîner des réactions inhabituelles.

Cette phase, aussi pénible soit-elle, est néanmoins une progression psychologique normale traduisant la disparition d’un processus de sidération ou d’indifférence au profit d’un processus actif d’agressivité qui pourra ensuite être canalisé et transformé en processus constructif jusqu’à l’acceptation active.

 

3 . Le marchandage

«D’accord puisque je n’ai pas le choix ; mais il m’est impossible d’accepter tout ce que l’on me dit être nécessaire. Je ferai uniquement ce que j’estime indispensable».

A ce stade, la personne amputée entreprend d’appréhender sa nouvelle situation, mais ne va accepter qu’une partie de la réalité, et bien souvent uniquement celle qu’il pense lui permettre de vivre «presque comme avant». Comme l’agressivité qui l’a précédée, cette phase est normale et logique dans la dynamique des événements subis. Le  marchandage est devenu possible par suite de l’atténuation d’une agressivité finalement ressentie comme inutile, mais la motivation reste d’être gêné le moins possible et d’accepter uniquement ce qui paraît devoir être indispensable pour vivre «comme avant».

A ce stade, il est fréquent que la personne amputée refuse de mettre en pratique les conseils de l’équipe soignante ou de l’entourage, ou refuse une partie du traitement, sous prétexte d’incertitude par rapport à la façon de réagir face à l’amputation.

Cette attitude rigoriste peut traduire la persistance du sentiment de révolte du stade précédent, être le témoin d’une charge émotionnelle encore trop pénible, ou être simplement la manifestation de l’anxiété face à l’inconnu. Il est cependant normal et bon qu’elle soit exprimée car cela permet alors de progresser, ce qui ne serait pas le cas sans cela, avec risque de rester à l’étape du marchandage.

 

4 . la dépression

«Faut pas rêver, je ne serai plus jamais comme avant, mais pourrai-je vivre autrement ?».

Cette étape est appelée dépression dans le modèle de Kübler-Ross, mais elle n’est pas une dépression au sens psychiatrique du terme où il y a perte des intérêts, absence de plaisir, absence de projet, trouble de l’appétit, trouble du sommeil, perte de l’estime de soi, sensation de «voie sans issue», idées suicidaires, etc..

C’est plutôt une amertume (c’est-à-dire un ressentiment mêlé de tristesse causé par le constat de la perte définitive de quelque chose) à laquelle est associée une interrogation quant à la façon dont l’amputation peut être intégrée dans la vie de tous les jours.

L’idée d’un retour à une vie sans amputation est progressivement abandonnée, l’image de soi «non amputée» est restaurée, et l’interrogation quant à la possibilité de construire une image de soi «amputée» évolue progressivement.

Après quelque temps de recul, ceci est assez souvent exprimé par «J’avais le sentiment de tomber de plus en plus bas, mais à moment donné, j’ai recommencé à regarder vers le haut».

Il s’agit donc d’une phase de «dé-pression» au sens de «diminution de la pression psychologique», avec réflexion sur soi et espoir de parvenir à intégrer l’amputation dans la vie de tous les jours.

A cette phase, l’information sur l’amputation, l’appareillage, etc. est bien perçu car les mécanismes de défense initiaux d’agressivité ont été progressivement remplacés par un contexte psychologique supportable autorisant des mécanismes de pensée constructifs. Le sujet amputé est souvent silencieux, attentif, voire méditatif, parfois aussi dubitatif, mais la charge émotionnelle qui est moins forte, permet l’écoute et la compréhension de nouveaux principes de vie.

L’information permet par ailleurs au sujet amputé d’exprimer son vécu subjectif, ce qui est particulièrement important pour pouvoir faire le deuil de ce que l’on était «avant» et envisager de s’accepter tel que l’on est «maintenant».

Celui-ci, qui n’est maintenant plus gêné par son vécu émotionnel pour acquérir des notions théoriques, se heurte cependant à des difficultés d’application pratique de ces notions dans la vie quotidienne, et il lui est encore difficile d’élaborer des principes de vie qui lui soient propres.

 

5 . l’acceptation

«Je fais ce qu’il faut pour dominer la situation et pour préserver mon capital santé».

«L’amputation est un handicap, mais je ne suis pas un handicapé».

Le travail d’acceptation de l’amputation est une démarche sans laquelle il n’est pas possible d’accéder à l’autonomie permettant d’intégrer l’amputation dans la vie quotidienne, sans rumination ni regret majeur, de n’y penser que le temps nécessaire au traitement, et d’envisager l’avenir avec confiance.

Ce processus d’acceptation active passe par la disparition complète du sentiment d’infériorité et de dépendance, par la conviction de la possibilité d’un nouveau mode de vie, par l’élaboration d’une nouvelle image de soi amputée, par la constatation de la capacité à se prendre en charge.

Cette acceptation active est aussi appelée «Savoir être».

Le plaisir de vivre est alors à nouveau présent, dans un contexte psychologique associant autonomie, responsabilité, dynamisme et activité créatrice.

Il faut cependant souligner que l’acceptation active n’est pas une étape définitivement acquise, et que son maintien nécessite parfois des efforts importants pour la personne amputée et son entourage, notamment lors des inévitables aléas de la vie, professionnels, familiaux, ou autres…

Ainsi, comme nous venons de le voir, l’amputation est souvent suivie d’une phase de dénégation, qui est en quelque sorte un état de sidération avec un souhait utopique « que le temps s’arrête et que la vie d’avant reprenne son cours ».

Il y a ensuite un processus normal d’agressivité qui se manifeste d’abord par un état de révolte, puis de marchandage, et les mécanismes de défense initiaux d’agressivité sont ensuite progressivement remplacés par un contexte psychologique supportable autorisant des mécanismes de pensée constructifs.

La sidération initiale est donc habituellement suivie de processus actifs (agressivité décroissante puis acceptation progressive).

Il peut cependant en être différemment, en effet, le passage d’une étape à l’autre se fait plus ou moins rapidement selon les individus, et assez souvent il y a fluctuation entre deux stades consécutifs avant de passer au stade suivant.

On peut parfois observer, consécutivement à la sidération initiale, la mise en place d’un processus passif avec un sentiment d’amputation physique et psychologique qui est accepté avec fatalité, ou aussi aigreur mais sans processus agressif ni même actif.

Cette évolution vers la résignation ne peut donc pas être considérée comme une forme d’acceptation étant donné cette absence de processus actifs.

Elle n’est donc pas souhaitable car elle entretient le sentiment d’infériorité et de dépendance.

Dans certains cas, la résignation peut être entretenue par une recherche inconsciente de bénéfices secondaires de l’amputation : par l’expression d’un statut d’amputé, d’handicapé, le patient espère que son entourage familial ou médical lui portera plus d’attention, s’occupera mieux de lui, mais le comportement, qui associe alors passivité, dépendance et régression, ne permet pas une vie heureuse.

Pour en savoir plus :