Techniques Chirurgicales

Une Chirurgie pour un meilleur appareillage

D’après la Thèse de la doctoresse M-N.Cailleux (publiée avec l’autorisation de la faculté de médecine et de pharmacie de Besançon)

IV.1. NIVEAUX D’AMPUTATION ET QUALITÉ DE VIE :

L’amputation de cuisse pose le problème de la perte du genou, articulation fondamentale pour son rôle d’amortissement et de limitation des fluctuations du centre de gravité coûteuses en énergie, par la stabilité qu’il procure, permettant un verrouillage actif en station unipodale. Pour DULIEU et coll. (12), les muscles polyarticulaires de la cuisse et tout particulièrement le quadriceps ont un rôle freinateur et absorbeur des pressions au cours de la marche.

Dans la mesure du possible, le genou devra être préservé. L’appareillage d’un moignon de jambe, même court (quelques centimètres, conservation du tendon rotulien), bien que parfois délicat, est réalisé par la fabrication d’une emboîture supra-condylienne.

La facilité du chaussage, la démarche plus physiologique et moins coûteuse en énergie, la possibilité de courir sont autant d’arguments qui doivent inciter, si la clinique le permet, à une chirurgie conservatrice.

L’autre difficulté résulte du fait que le moignon de cuisse supporte difficilement un appui distal, à l’inverse des amputations de GRITTI et des désarticulations de genou, qui autorisent un appui terminal total.

L’amputation de cuisse décrite par Rocco GRITTI, en 1891, consiste en une section du fémur juste au-dessus des condyles avec la synthèse de la rotule sous la tranche osseuse. Le moignon est cylindrique, légèrement renflé à son extrémité distale et surtout long, ce qui facilite son contrôle et diminue l’effort nécessaire à son animation. Il y a conservation des équilibres musculaires physiologiques, qui confèrent au moignon un caractère tonique et musclé et lui assurent une faible involution.

La cicatrice postériorisée et le caractère arrondi de l’extrémité osseuse, du fait de la position de la rotule, permettent en général l’appui terminal. L’emboîture repose sur le principe de la suppression de l’appui ischiatique, un appui terminal préférentiel et un accrochage sus-condylien. Il existe, en plus, un appui partiel sur les faces du moignon grâce à un manchon souple, qui recouvre la totalité de la surface du moignon jusqu’à sa partie proximale. Le bord supérieur du manchon souple et de l’emboîture rigide s’arrête à deux travers de doigt de l’ischion, lorsque le membre inférieur est en charge. La suspension de l’emboîture est assurée par l’intime contact entre le manchon souple et le moignon, d’une part, et par l’utilisation au niveau du fût fémoral du renflement de l’extrémité inférieure du moignon, d’autre part. Lors du moulage, il y a accentuation des reliefs sus-condyliens du manchon. Les saillies latérales sus-condyliennes de l’emboîture dure s’appliquent sur les dépressions du manchon souple, qui se laisse comprimer au niveau des reliefs sus-condyliens lors du chaussage (18).

Le périmètre de marche est en général bien conservé. La marche est souvent confortable et esthétique. Cependant, il a été noté quelques cas d’appui terminal douloureux (section du fémur, mauvaise synthèse de la rotule sur la tranche osseuse, accrochage sus-condylien sensible … ).

En conséquence, certains prothésistes préfèrent la désarticulation du genou : un appui terminal est rarement douloureux lorsque les condyles sont intacts.

La technique de l’emboîtage d’un tel moignon est sensiblement similaire à celle d’une amputation de GRITTI : exploitation des reliefs osseux pour assurer l’accrochage, utilisation d’un manchon souple et d’une emboîture rigide sauf dans sa partie proximale (tiers supérieur), qui reste souple et permet une position assise très confortable.

Ces deux types d’amputation ont pour principal défaut une longueur telle du moignon que l’appareillage est difficilement esthétique. Mais la mise au point de genoux de faible encombrement permet de situer l’axe articulaire du genou prothétique à la même hauteur que celui du genou controlatéral, et ce pour des raisons aussi bien fonctionnelles qu’esthétiques (Figure 11).

Pour les ostéosarcomes du fémur, se discuterait l’opportunité de l’opération de VAN NES, initialement pratiquée pour les aplasies fémorales. Le principe consiste à fixer le tibia sur l’extrémité supérieure du fémur, après l’avoir fait tourner de 180 degrés : la cheville fonctionne comme un genou, le pied fait office de moignon de jambe.

L’appareillage est possible au moyen d’une prothèse tibiale contact.

De toute évidence, il n’existe pas de niveau d’amputation idéal. Il est reconnu cependant que, dans l’amputation de cuisse, plus le moignon est long, plus le contrôle de la prothèse sera aisé. C. RIEDERER, en 1927, parodiait une parole du baron LOUIS sur les finances publiques et écrivait aux chirurgiens : « Faites-nous de bons moignons, nous vous ferons de bonnes prothèses » (34). La réalité n’est sans doute pas aussi simple. La bonne qualité du moignon (absence de trouble trophique … ), un niveau d’amputation satisfaisant, une technique chirurgicale adaptée sont autant de conditions permettant un bon appareillage (Figure 11).

Figure 11 : 
Les niveaux d’amputation du membre inférieur (37).

IV.2. LES TECHNIQUES CHIRURGICALES

Il convient de différencier plusieurs techniques chirurgicales d’amputation de cuisse :

IV.2.1. Le moignon classique :

Selon MIAULT, DESCHAMPS et PILLU (27), l’os est réséqué, le canal médullaire doit être obturé par une pastille osseuse prélevée sur le segment amputé pour éviter l’anastomose des lacis veineux, osseux et cutanés. Le périoste est suturé. Les vaisseaux sont sectionnés le plus bas possible, artères et veines ligaturées séparément. Les nerfs doivent être, à l’opposé, sectionnés le plus haut possible pour éviter le névrome du moignon. Le volume des masses molles est conservé selon la qualité des tissus environnants et suivant qu’on souhaite obtenir un moignon plus ou moins étoffé avec un engainement soigneux du fût osseux. Dans le cas de l’amputation de cuisse, cet engainement se réalise avec une suture peau-aponévrose pour les moignons maigres, avec un recouvrement musculaire correspondant à l’épaisseur du quadriceps pour les moignons étoffés. La cicatrice est postériorisée.

IV.2.2. Le moignon d’ostéomyoplastie

L’ostéomyoplastie, technique chirurgicale mise au point par WEISS en 1947, préconisée par DEDERICH, est réalisée dans la plupart des cas. Il s’agit d’une véritable plastie du moignon, qui permet une meilleure trophicité musculaire par une mise en contact sur la surface la plus grande possible des muscles et de la peau.

Elle consiste au niveau fémoral

-en une incision de la peau, de façon à obtenir deux lambeaux cutanés en forme de demi-cercles. Le lambeau antérieur est plus long que le lambeau postérieur, cela pour permettre une postériorisation de la cicatrice.

-en une section osseuse, légèrement au-dessus des muscles. Le canal médullaire est bouché. Sur 4 à 5 cm en amont de la tranche de section osseuse, le périoste est repoussé vers le haut, puis ramené sur l’extrémité osseuse et suturé sur celle-ci, afin de prévenir une éventuelle prolifération osseuse, toujours susceptible de provoquer des phénomènes douloureux à la marche.

Le nerf sciatique est repéré, isolé et sectionné très haut, à distance des cicatrices (osseuses, musculaires et vasculaires). Il est enfoui dans la masse des muscles. L’amputation est suivie d’une sensation de présence du segment de membre amputé : elle est en général éphémère.

Pour assurer une bonne irrigation distale du moignon, les vaisseaux sont ligaturés le plus bas possible.

– en une plastie musculaire : c’est le dernier temps opératoire : par-dessus le moignon osseux, on suture bout à bout les quatre groupes musculaires, interne et externe au plan profond, antérieur et postérieur au plan superficiel. Le groupe interne est composé des muscles adducteurs, vaste interne, droit interne et pectiné.

Le groupe externe est composé du vaste externe et du tenseur du fascia lata.

Le groupe antérieur comprend le couturier, le droit antérieur et le crural, le groupe postérieur est constitué du semimembraneux, demi-tendineux, biceps crural.

RAUPP, GRUMLER et LARDRY (37) précisent que les sutures sont effectuées sur un moignon en rectitude, afin que les tensions musculaires soient bien équilibrées (Figures 12 et 13).

Tout muscle sectionné privé de son chef distal est voué à l’inertie et à l’atrophie.

Dans le cas de l’ostéomyoplastie, les muscles ont un nouveau point d’attache inférieur, commun et ils rétablissent d’une certaine façon le jeu agoniste-antagoniste. Si ce jeu est entretenu par des exercices réguliers, l’atrophie du moignon est moindre, la vitalité de tous les éléments bien meilleure.

IV.2.3.,Le moignon ouvert de cuisse, :

Il s’agit d’un moignon où les causes d’amputation sont toujours vasculaires. . Il est laissé ouvert, afin de suivre le processus de cicatrisation pour des raisons d’ischémie, car toute suture risquerait d’entraîner des tractions sur les tissus, responsables de nécrose et d’ouverture secondaire (27).

Figure 12 :

Coupe transversale de la cuisse (d’après LATARJET). Coupe de la cuisse droite à la partie moyenne (segment supérieur).

1,1’ : Aponévrose fémorale

12 : Demi-membraneux

2 : Cloison intermusculaire externe

13 : Grand adducteur

3 : Cloison intermusculaire interne

14 : Longue et courte portions

4 : Droit antérieur

15 : du biceps crural

5 : Crural

16 : Artère fémorale

6 : Vaste interne

17 : Nerf saphène interne

7 : Vaste externe

18 : Artère fémorale profonde

8 : Couturier

19 : Nerf sciatique

9 : Droit interne

20 : Artère ischiatique

10 : Moyen adducteur

21 : Veine saphène interne

11 : Grand adducteur

Figure 13 : 
Ostéomyoplastie. 
a: Résection osseuse au-dessus de la section musculaire 
b: Suture soigneuse du périoste 
c: Myoplastie latéro-latérale 
d:Fermeture : matelassage musculaire

IV.3. LES ÉTATS PATHOLOGIQUES DU MOIGNON

Le port de la prothèse est une nécessité vitale pour l’amputé et la première qualité d’un moignon est de permettre au patient une marche sans douleur.

Mais un moignon parfait est rare, pour ne pas dire inexistant. Il subit sans cesse une évolution dans le temps. Les contraintes de l’appareillage, les irritations occasionnées par une activité physique accrue (professionnelle ou autre), peuvent rendre un moignon pathologique.

IV.3.1. Les moi-gnons défectueux :

Ils le sont en raison de l’étiologie ou des circonstances de l’amputation, d’une mauvaise confection chirurgicale ou de soins post-opératoires incorrects.

On retient essentiellement :

les défauts de la cicatrice (mal positionnée, invaginée, adhérente aux parties molles sous-jacentes … ).

les attitudes vicieuses (flessurn-abductum de hanche).

l’oedème du moignon le plus souvent postopératoire, mais parfois aigu ou subaigu en raison d’une affection intercurrente locale (phlébite du moignon, abcès … ) ou générale (insuffisance cardiaque … ). L’oedème persiste après la période post-opératoire du fait d’une insuffisance du retour veineux : c’est l’oedème déclive.

les moignons défectueux, suite à un acte chirurgical incomplet ou incorrect (fémur trop long ou trop court, non recouvrement de l’extrémité osseuse par le périoste, favorisant l’apparition d’exostoses, insuffisance du matelassage musculaire, moignon trop étoffé, « à oreilles »).

IV.3.2. Les moignons douloureux:

Existence de troubles trophiques (ulcérations par irritations mécaniques, hypersudation, macération et prolifération bactérienne, eczéma, allergies aux constituants de l’emboîture).

Le neurogliome ou névrome d’amputation : enfoui dans l’épaisseur du muscle, le nerf sectionné produit un neurogliome cicatriciel légèrement douloureux au départ, puis indolore. Quand il se trouve en contact avec l’os, les vaisseaux ou les aponévroses cicatricielles, il peut devenir extrêmement sensible, même à la simple palpation. Le chaussage de l’emboîture et surtout l’appui à la marche provoquent, en stimulant le neurogliome, une irradiation douloureuse dans toute la région située en aval.

La résonance algique du membre « fantôme » est pratiquement constante chez tous les amputés. Elle peut être parfois très discrète et ne pas gêner l’amputé ou, au contraire, omniprésente, insomniante et rebelle à tout traitement : elle est alors très éprouvante, physiquement et psychologiquement.

IV.3.3. Les solutions :

La plus importante, car peut-être la moins aléatoire, reste la prévention. Lorsqu’elle n’a pas pu être réalisée et que la souffrance est telle qu’elle empêche toute possibilité de marche, il est proposé des traitements, afin de permettre àl’amputé de reprendre une activité.

Il peut s’agir d’un traitement chirurgical à n’envisager qu’avec précaution (résection des exostoses et recouvrement correct par le périoste, résection du névrome, reprise chirurgicale des cicatrices … ).

Antalgiques, anti-inflammatoires ou tranquillisants (sédatifs, anxiolytiques) sont employés pour traiter les membres fantômes douloureux. Ultra-sons ou neurostimulation antalgique sont parfois nécessaires pour compléter le traitement médical.

L’oedème du moignon sera contrôlé par l’utilisation d’une contention par bandes élastiques ou par le port de la prothèse.

La prévention des attitudes vicieuses est primordiale : la lutte contre le flessum de hanche s’effectue par des cures de procubitus, si l’amputé le supporte. Il est nécessaire de pratiquer également un travail articulaire par des mobilisations biquotidiennes du moignon : étirements manuels dans le sens extension, adduction et abduction de hanche. Le travail actif des articulations sus-jacentes à l’amputation sera pratiqué dès que possible (31, 37).

L’appareillage précoce est par ailleurs l’un des meilleurs moyens pour prévenir l’apparition d’un grand nombre de ces troubles.

Pour en savoir plus :

Les causes d’amputation

La thèse de la doctoresse M-N.Cailleux sur le Site Bottaweb

Page de garde, Faculté

Dédicaces, Serment d’Hypocrate

Introduction

Historique

L’amputation un constat d’échec

Une chirurgie pour un meilleur appareillage

La marche humaine, une aquisition inestimable

L’amputation de cuisse chez l’adulte jeune, quelle emboîture proposer

L’influence de l’appareillage sur la réadaptation fonctionnelle

Données personnelles

Analyse de nos observations et confrontation avec les données de la littérature

Conclusion

Annexe

Bibliographie